Les démons de minuit te rattraperont toujours mon petit (Suite 5).

C'était une drôle de nouvelle, Jessica la voisine, stripteaseuse. John avait décidément du mal à atterrir, pour lui, c'était une gamine de vingt comme une autre qui se ballade avec son smartphone en main afin d’immortaliser tous les détails insignifiants de sa vie. Une paire d'écouteurs constamment branchés dans les oreilles, un air malicieux et dépité imprimé sur son visage, mais caché par une bonne couche de fond de teint, une courbe de sourcil irréprochable comme s'ils avaient été dessinés au compas, un rouge à lèvres criard mis en valeur par un contour de lèvre parfait qui donne une impression de bouche pulpeuses à souhait. Tout cela constituait le cocktail explosif qui caractérise la naïveté de la jeunesse  d'une part et l'angoisse d'une maturité à en devenir car il faut l'avouer, ces jeunes sont jetés dans un monde brutal, incompréhensible et énigmatique.

Marco jouait s'en s'arrêter, il avait acheté une basse dernièrement et il l'a maniait avec une dextérité sans nom, le morceau ressemblait à Seven Nation Army des White Strips entrecoupés de passage complètement déjantés et expérimentaux. John commençait à s'endormir sur le fauteuil dans lequel il était assit, sur la petite table basse en verre qu'il y avait devant eux, il pouvait voir le nombre de pintes qu'il s'était enfilé depuis le début de la soirée, 2...3...4...5...

Beaucoup trop c'est certain, il en était parfaitement conscient, pourtant à chaque fois qu'il pénétrait dans ce bar, il savait pertinemment qu'il allait ressortir dans un état lamentable, car au fond de lui, il savait qu'il adorait cette sensation, de perte de contrôle de son corps, de ses pensées, il oubliait momentanément jusqu'à son existence.

- Bon Marco il faut que je rentre, je suis complètement déchiré et il me reste bien une demie heure de marche avant de rentrer à l'appart, j'ai pas envie de traîner trois cent ans sous une pluie battante. La montée de Fourvière quand on a trop bu c'est chaotique. J'espère que je me casserais pas la gueule... La dernière fois, il y a deux semaines, je me tenais fermement à cette foutue rambarde qui était censée me soutenir jusqu'au point culminant, quand un satané pigeon a fait irruption, j'ai vraiment cru qu'il allait me percuter en plein vol, je sais plus si c'était une hallu où si c'était vraiment réel, en tout cas il m'a bien fait flipper ce débile et j'ai chuté. Ensuite, j'avais trop la flemme de me relever, il faisait pas si froid que ça, certainement que mon corps était anesthésié par la tonne d'alcool que j'avais ingurgité quelques heures plus tôt chez toi. 

- C'est sur, t'étais dans un état ce soir là, t'es un sacré numéro Jo ! 

- Du coup,  tu sais ce que j'ai fais ?

- Non j'en ai aucune idée mais je sens que tu vas me le dire !

- Quand j'étais au sol, j'ai eu le réflexe de tendre ma main, pas pour mendier bien entendu, mais dans l'espoir d'atteindre quelque chose qui serait assez solide pour me soutenir. Contre toute attente, je parviens à toucher un je-ne-sais-quoi qui correspond parfaitement à ce que je cherche, on dirait du bois, je commence à me hisser sur l'objet comme un animal, par miracle j'arrive à m'allonger sur cette forme qui me fait penser à un banc. J'étais habillé comme si je m'apprêtais à faire une expédition dans le pôle nord, j'avais un manteau suffisamment chaud pour passer la nuit dehors sans mourir d'hypothermie. Pouf ! J'ai fermé les yeux, puis plus rien. Le lendemain j'ai été réveillé par des voix inconnues, j'ai ouverts les yeux tranquillement, et là je vois des joggers du dimanche qui me regarde avec un air méprisant, comme si j'étais un pestiféré. En même temps, si j'étais à leur place je ferais sans doute la même chose.Les gens voient un mec qui dort dans la rue, affalé comme une véritable loque ils se disent immédiatement que c'est un trou du cul qui a raté sa vie car il a pas su prendre des décisions au moment où il en avait encore l'occasion.Y a plus attirant, ça incite pas à la bienveillance mais plutôt au dégoût, à la pitié. La société a cet aspect écœurant, on juge beaucoup, sans comprendre, sans aider. Je crois bien que le monde devient de plus en plus glacial, individualiste. On préfère faire tomber le couperet sur la tête du voisin plutôt que de l'aider à sortir du fossé où il est entrain de s'enterrer. Misérable, dégueulasse, mais c'est dans la nature humaine donc c'est excusable. Tu crois qu'on va  continuer encore longtemps à se voiler la face de cette manière, dans le jugement de l'autre et l'inaction totale ? Je crois qu'on court tout droit à notre perte si nous n'arrivons pas à nous responsabiliser, m'enfin nous n'en sommes pas là actuellement, j'en suis pas là non plus, il faut que je m'arrache avant que je m'endorme sur ton canapé.

- Ouais tarde pas trop ! La dernière fois j'ai du appeler un taxi, glisser vingt balles dans la poche de ta chemise, te porter jusqu'à l'entrée de l'immeuble, te jeter à l'arrière de la caisse, j'aimerais pas trop réitérer cette expérience.

-Moi non plus à vrai dire, j'aimerais bien me prouver à moi même que j'ai suffisamment de dignité pour rentrer chez moi comme l'adulte que je suis supposé être.

- Allez rentre bien mec et envoie moi un petit texto quand t'es rentré, histoire que je me fasses pas du mouron, essaye de pas croiser un pigeon démoniaque sur ta route cette fois - ci.

- Je vais essayer Marco mais je crois que je les attire ces bestioles, mauvais karma, j'étais peut être un pigeon dans une vie antérieure, je devais chier sur la tête de tous les passants qui croisaient ma route, en même temps ça devait être plus réjouissant que ma vie actuelle, voler quoi c'est le pieds ! C'est tellement limitant de devoir marcher sur deux pieds. 

- Grâce à ces deux pieds tu vas pouvoir rentrer chez toi, magnifique n'est - ce pas?

-Très juste, je m'étais encore perdus dans des élucubrations dont je suis malheureusement spécialiste, allez à bientôt, je file comme l'étoile filante vers un lit douillet qui n'attend que moi !